La fleur des eaux (Lamartine)
Dans les climats d'où vient la myrrhe,
Loin des rivages, sur les flots,
Il naît une fleur qu'on admire,
Et dont l'odeur, quand on l'aspire,
Donne l'extase aux matelots.
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il meurt sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non !
Fleur tout prodige et tout mystère,
L'abîme amer est son berceau ;
Nul fil ne l'attache à la terre,
Nulle main ne la désaltère,
Nulle ancre ne la tient sous l'eau.
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il fuit sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non!
Elle est pâle comme une joue
Dont l'amour a bu les couleurs ;
Et, quand la vague la secoue,
De son bouton qui se dénoue
Il pleut une sève de pleurs.
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il fuit sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non!
Les cygnes noirs nagent en troupe,
Pour voir de près fleurir ses yeux ;
Le pêcheur, penché sut sa poupe,
Croit qu'une étoile du saint groupe
Est tombée, en dormant, des cieux.
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il fuit sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non!
Elle ondoie avec la surface
Du courant qui croit l'entraîner ;
Mais le jour ou le flot qui passe
La retrouve à la même place
Où notre oeil semble l'enchaîner.
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il fuit sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non !
Le marin dit " Comment prend-elle
Sa douce vie au flot amer ?
Plante unique et surnaturelle,
Pour puiser sa sève immortelle,
Plonge-t-elle au fond de la mer ? "
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il fuit sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non !
Le secret de la fleur marine,
Je le sais par une autre fleur ;
Plante sans tige et sans racine,
Chacun cherche et nul ne devine
Que sa sève sort d'un seul cœur.
Savez-vous son nom ?
Le flot le soupire,
Il fuit sans le dire.
Savez-vous son nom ?
Oh non !
Odelette (Henri de Régnier)
Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi;
Un petit roseau m 'a suffi
A faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l'ont entendu
Au fond du soir, en leurs pensées,
Dans le silence et dans le vent,
Clair ou perdu,
Proche ou lointain...
Ceux qui passent en leurs pensées
En écoutant, au fond d'eux-mêmes,
L'entendront encore et l'entendent
Toujours qui chante.
Il m'a suffi
De ce petit roseau cueilli
A la fontaine où vint l'Amour
Mirer, un jour,
Sa face grave
Et qui pleurait,
Pour faire pleurer ceux qui passent
Et trembler l'herbe et frémir l'eau;
Et j'ai, du souffle d'un roseau,
fait chanter toute la forêt.
La pauvre fleur... (Victor Hugo)
La pauvre fleur disait au papillon céleste :
- Ne fuis pas !
Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
Tu t'en vas !
Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
Et loin d'eux,
Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes
Fleurs tous deux !
Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne.
Sort cruel !
Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
Dans le ciel !
Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre
Vous fuyez,
Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
A mes pieds.
Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t'en vas encore
Luire ailleurs.
Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
Toute en pleurs !
Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
O mon roi,
Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
Comme à toi !